A l’Assemblée Nationale le 20 juin 2016, par Eric de la Maisonneuve, membre de Cap Jeunesse.
Un colloque sur le terrorisme international a eu lieu cette semaine à l’assemblée. Eric de la Maisonneuve, Emanuel de Richoufftz, JF Tchicaya, Marie-Ange Texier et Pierre Louis Santos y ont assisté au nom de Cap Jeunesse. Il est important pour notre mouvement de réfléchir à toutes les implications de l’abandon des jeunes décrocheurs, ce domaine en fait évidemment partie.Emmanuel est intervenu en ce sens en prônant la « reconquête » de ces jeunes et Eric de la Maisonneuve a assuré brillamment la conclusion générale.
« Face aux diverses formes d’action que peut prendre le terrorisme, les Etats et les systèmes politiques, ont toujours rencontré des difficultés considérables pour éradiquer ce phénomène ravageur ».
Une démarche stratégique face au terrorisme
« hors limites »
Face aux diverses formes d’action que peut prendre le terrorisme, ici comme ailleurs, hier comme aujourd’hui, les Etats et les systèmes politiques, même les plus autoritaires, ont toujours rencontré des difficultés considérables pour éradiquer ce phénomène ravageur.
La raison se trouve dans la nature même des modes d’action et des terroristes eux-mêmes. C’est leur habileté de se placer « hors limites » de tout cadre politique, moral, juridique et d’être ainsi inaccessibles et imprévisibles ; en déjouant les systèmes de sécurité, ils les obligent soit à l’inefficacité soit à s’aventurer en terrain dangereux, les entraînant parfois à frôler la ligne rouge ou même à sortir des clous. C’est leur perversité de faire régner l’inquiétude et de frapper au hasard, empêchant ainsi, par cette dispersion de l’attention, de concentrer les efforts et de regrouper les forces sur un objectif aussi volatil.
Le terrorisme est ainsi un mode d’action anti-clausewitzien qui non seulement échappe à l’investigation stratégique dite classique mais touche à tous les domaines – idéologique d’abord, sociologique et culturel également -, et qui exigerait donc, si l’on veut bien s’accorder sur son caractère atypique, de refonder nos approches analytiques.
En effet, la rationalité de nos approches habituelles est mise en échec par le phénomène terroriste, en particulier dans ce que les militaires appellent l’appréciation de situation. C’est notre capacité d’analyse qui est ici en question, non que les moyens lui fassent défaut mais parce que notre culture, juridique en particulier, est réticente à entrer dans la logique nihiliste du terrorisme et ne parvient pas à décrypter le phénomène. On le voit bien, nous nous efforçons d’appliquer des remèdes ou des solutions là où il faudrait tout d’abord décortiquer et comprendre le problème.
« guerre »
Parmi ces « solutions » proclamées, déclarer la guerre au terrorisme provient sans doute d’une nécessité de réagir vigoureusement à des événements dramatiques et participe d’intentions qu’on imagine louables. Mais cette dénomination guerrière a chez nous un contenu si lourd et si ancien que sa convocation par les plus hauts responsables politiques ne peut, au choix, que rendre sceptiques les observateurs, effrayer les citoyens ou faire ricaner les agresseurs !
En effet, la « guerre », dont on enseigne encore les ressorts dans nos écoles spécialisées, a ses codes, ses limites, ses contraintes et…ses incertitudes. Ses aléas sont tels qu’il faut les cerner puis les encadrer, à condition toutefois qu’on y parvienne, en particulier que l’adversaire – car il en faut un – se prête à cette logique. « A la guerre comme en amour, disait Napoléon, il faut être deux ». Ce deuxième qui est « l’ennemi » doit pouvoir être désigné, condition nécessaire à son affrontement et, si possible, à son élimination. La guerre nécessite aussi un théâtre d’opérations et un cadre juridique ; en France aujourd’hui, le premier n’est pas précisé et le second n’est pas adapté. Cela rend malaisée la lutte contre la « chose » !
Pour tenter d’entrer dans la logique guerrière, l’état d’urgence a été décrété après les attentats du 13 novembre 2015, et renouvelé depuis. Pour de multiples raisons, essentiellement politiques, il n’est pas pleinement appliqué ; les rassemblements et les manifestations violentes qui le contestent le rendent en grande partie inopérant. Il faut ajouter que les modalités de cet état d’exception datent de 1955 et étaient motivées à l’époque par une situation insurrectionnelle en Algérie que personne n’osait appeler « guerre ».
On l’aura compris : si la guerre ne convient sans doute pas à désigner la situation que nous imposent les terroristes, l’état d’urgence dans ses dispositions actuelles ne convient pas non plus pour y faire face. Il faudrait pourtant, après l’avoir analysée, donner une dénomination adaptée à la « chose » et lui opposer dans nos institutions un état d’exception efficace. Le vocabulaire polémologique ne manque pas de ressources et nous avons suffisamment de brillants normaliens et d’agrégés de grammaire dans les hautes instances de la République pour qu’on puisse résoudre cette question sémantique qui est loin d’être secondaire. Quitte à l’invoquer trop souvent, il faut toujours rappeler ce mot si juste d’Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », en l’occurrence aujourd’hui au désarroi de la France.
« appréciation de situation »
Ces constats d’inadéquation entre les mots et les choses étant faits, il faut revenir au cœur du sujet réel et à la question fondamentale qu’il convient de poser dans toute analyse stratégique : de quoi s’agit-il ?
En réalité, le phénomène terroriste et ses protagonistes sont étudiés et répertoriés. La collecte et la qualité des renseignements dont nous disposons ne sont pas en cause. Nous savons à peu près tout sur tout et la plupart, sinon la totalité, des actes terroristes qui ont été commis l’ont été par des individus connus et fichés par les services, parfois même emprisonnés pour ces faits puis surveillés et suivis. Quant à l’idéologie qui les anime (le wahhabisme), aux commanditaires qui les activent (Al Qaida puis Daech), ils sont parfaitement identifiés et repérés. Le problème n’est donc pas celui du renseignement mais de son analyse et de son exploitation. Et comme d’habitude en France – c’était vrai par exemple en 1940 – nous péchons toujours par un défaut, voire une erreur, d’analyse. Sans doute nous trouvons-nous trop intelligents pour procéder à ce long et humble travail qui se doit d’être objectif et exhaustif s’il veut décrire la réalité et déboucher sur des hypothèses plausibles d’action. En l’occurrence et si l’on écarte l’intuition idéologique qui sert souvent de réflexion à certains, l’analyse bute dans ce domaine précis du terrorisme islamique sur la fameuse « inversion des normes » tant sollicitée dans d’autres domaines : s’agit-il d’une « radicalisation de certains musulmans » ou bien d’une « islamisation de certains marginaux radicalisés » ? La poule ou l’œuf ! Le débat est sans fin et ne débouche sur aucun projet utile car tout le monde a raison, et il faut traiter les deux sources en même temps mais de façons différentes.
Si cette analyse, qu’il serait vain de prétendre résumer ici en quelques phrases, était conduite correctement – avec tous les experts concernés, sociologues et islamologues notamment, mais aussi stratégistes, polémologues et philosophes -, des « assises du terrorisme » en quelque sorte, on parviendrait probablement en quelques mois à proposer aux responsables politiques une lecture à la fois plus fine et plus réaliste de la situation.
« front extérieur »
On s’apercevrait alors que le terrorisme n’est pas univoque ; il revêt des formes multiples, qu’il s’exprime dans les pays dont il est originaire ou qu’il se disperse ailleurs par métastases ou par sympathie.
Le fait que le cœur du problème se situe au Moyen-Orient et qu’il se réclame d’un Etat s’imposant à une population donnée – les Arabes sunnites -, sur un territoire – celui du califat historique -, disposant de ressources humaines et financières et de forces armées, ne remet pas en cause les appareils militaires qu’on peut lui opposer ; bien au contraire, cette posture plus ou moins normalisée ne peut que faciliter la confrontation et donner lieu à ce qu’on appellera alors à juste titre « la guerre ».
On peut effectivement « faire la guerre » à Daech mais encore faut-il la conduire avec les moyens nécessaires et suffisants pour établir un rapport de forces sur le terrain tel que l’anéantissement de l’adversaire y soit envisageable et possible. Puisqu’il s’agit, comme l’admettent la plupart des experts, d’un totalitarisme et d’une idéologie perverse, notre devoir est de détruire cet ennemi, de le radier de notre humanité. Il faut donc y mettre tous les moyens et les mieux adaptés, quitte à revoir à la fois nos alliances géopolitiques et l’organisation de nos forces. Nous ne devrions pas avoir d’états d’âme sur ce sujet, mais l’on observe pourtant qu’on est très loin du compte dans notre posture diplomatique comme dans notre engagement militaire.
A défaut d’un tel engagement, cette guerre ne sera qu’à moitié gagnée sur les théâtres moyen-oriental et africain. Les traces qu’elle laissera sur place seront vivaces comme on l’observe aujourd’hui dans la bande sahélienne. Et il faut craindre en outre de nombreuses métastases sur les pays périphériques, jusqu’en Europe où la situation intérieure pourrait se dégrader et échapper au contrôle des pouvoirs publics.
« front intérieur »
C’est bien ce « front intérieur », puisqu’il s’agit d’une guerre, qu’il faut tenter d’analyser. Il est fort différent du front extérieur car l’adversaire n’y est pas – ou mal ou incomplètement – identifié, que ses actions y sont difficilement prévisibles et donc peu préemptables, sauf à sombrer dans une paranoïa sécuritaire qui semble exclue pour le moment. C’est là que le défaut initial d’analyse et, partant, l’inconsistance du diagnostic se révèle désastreux.
Sur cette situation relativement inédite nous collons de vieilles formules. Elles viennent nécessairement après coup puisque notre état de vigilance est incomplet et insuffisant, elles se traduisent essentiellement en postures et peu en actes. Nous compensons cette impuissance par l’indignation et la compassion qui sont certainement respectables mais qui n’ont jamais inquiété le moindre terroriste. Aussi dignes soient-elles, ces manifestations sont aussi un aveu de faiblesse et ne devraient surtout pas nous exempter d’une remise en ordre de marche de la société.
Plutôt qu’un état d’urgence qui date d’un autre siècle et est inspiré de circonstances notoirement différentes, il nous faudrait nous mettre en ordre de bataille – puisque c’est la guerre – en décrétant au minimum un « état d’alerte » qui prendrait le contrepied de cet « état d’insouciance » dans lequel nous nous complaisons. Nous ne pouvons proclamer chaque jour que ce monde est dangereux, que l’Europe est menacée, que la France est attaquée, et n’en tenir aucun compte dans la vie quotidienne ou faire semblant d’en ignorer les risques.
Cet état d’alerte supposerait que nous nous donnions les moyens de son efficacité, tant sur le plan des institutions et des mesures d’ordre judiciaires que sur celui des capacités d’action. Il appartient certes aux pouvoirs politique et judiciaire de proposer et de prendre toutes les dispositions nécessaires pour faciliter la recherche et mettre réellement hors d’état de nuire des terroristes en puissance – quitte à restreindre pour un temps et dans des conditions précises certaines libertés publiques – , mais celles-ci ne seraient pas suffisantes, à condition qu’elles soient effectivement et fermement mises en œuvre, si elles ne procèdent pas d’une part d’un état d’esprit général, en réalité d’une mobilisation nationale, si elles ne se donnent pas d’autre part les moyens d’assurer effectivement la sécurité du territoire et la protection de la population.
« sécurité du territoire »
Sécurité du territoire et protection de la population, tels sont les termes mêmes de l’Ordonnance de janvier 1959 qui définit les enjeux et les missions de notre appareil de défense. Des forces de police et de gendarmerie, forces de première catégorie, y sont directement affectées et en ont la responsabilité. On voit bien aujourd’hui que ces forces, certes valeureuses et expérimentées, même accompagnées par les forces de deuxième catégorie engagées dans l’opération Sentinelle, sont notoirement insuffisantes à couvrir le spectre de ces missions et qu’elles sont en outre à bout de souffle après plus de six mois d’activités incessantes.
Il faut d’urgence se doter d’une force supplétive, une « garde territoriale » par exemple, pour renforcer, soutenir et compléter le dispositif en vigueur. L’armée de Terre, avec ses effectifs actuels, ne pourra supporter très longtemps des missions aussi nombreuses et aussi disparates, sources de déséquilibres et de tensions internes. Un bataillon par département ou une brigade par région sont un ordre de grandeur réaliste qui donneraient enfin aux préfets concernés les moyens d’agir en prévention – par la protection de points sensibles par exemple -, ou en réaction en cas d’événements graves.
Cette garde territoriale, dont les effectifs seraient de 60 à 80 000 personnels, ne pourra être alimentée que par un service militaire volontaire d’une durée de quatre à six mois, largement suffisants pour remplir des missions de présence et d’assistance. Le service national a été suspendu en 1996 pour des raisons plus politiques que stratégiques, voire sociologiques. S’il est toujours difficile de revenir en arrière, il n’est pas impossible d’inventer un dispositif intelligent, souple et efficace qui, en outre, servirait de vivier pour nos armées comme le recommandait le Commandant de Gaulle dans un de ses ouvrages, souvent cité et rarement lu, intitulé Vers l’armée de métier. Quant à son budget, estimé à 2 ou 3 milliards d’euros, c’est une peccadille en comparaison de tous les gaspillages actuels.
Cette résurgence d’une forme de « service » aurait d’ailleurs bien d’autres vertus. Elle permettrait d’abord aux Armées de redonner du sens à leur mission essentielle de défense de la nation à travers ce « rôle social » que revendiquait avec tant de justesse le futur Maréchal Lyautey. Le service national, pendant près d’un siècle, a permis à l’armée de pleinement remplir son rôle social et national ; en corrigeant ses nombreuses imperfections, il serait souhaitable de recréer ce lien entre l’armée et la nation. Et, vertu suprême, une forme de service rendu entre 18 et 22 ans, permettrait de reconstituer un lien entre la nation et une partie de sa jeunesse.
« cohésion nationale »
Le problème de la France aujourd’hui face à la menace terroriste, c’est son absence, non pas d’une union nationale illusoire dans ce pays traversé de déchirures irrémédiables, mais tout simplement de « cohésion » nationale. Cette faille dans la nation n’est pas seulement provoquée par le manque de solidarité des multiples corporations et des diverses communautés ou par l’égoïsme d’individus trop assistés, par la priorité affichée des « droits » sur les « devoirs », elle est entretenue par ce que nous dénoncions plus haut, à savoir le défaut d’analyse et l’erreur de diagnostic. La société n’est tout simplement pas convaincue de la justesse des positions qui sont adoptées au sommet de l’Etat, et sa vulnérabilité vient en partie de la faiblesse ou de l’indécision des responsables.
La société n’est pas rassemblée autour de « buts de guerre » qui soient clairement définis, argumentés et réalistes. Elle est traversée de trop de courants contraires pour regarder unie dans une même direction. Ses divisions et l’abandon de pans entiers de la population, non seulement interdisent une hypothétique cohésion nationale, mais en outre créent les conditions favorables aux apprentis terroristes ; ils trouvent dans les zones grises des quartiers à la fois un vivier et un refuge. La société française, laissée à vau-l’eau, nourrit ses propres poisons.
C’est là, au cœur du pays, qu’il faut faire porter l’essentiel de l’effort. A commencer par l’avenir de la nation, sa jeunesse. On a évoqué ici la partie de la jeunesse qui décroche dès l’école – 15% d’une classe d’âge en moyenne – dont le « stock » augmente d’année en année de jeunes sans éducation, sans formation, sans emploi autre que de petits boulots de survie ou de délinquance.
Comment un pays qui veut lutter contre le terrorisme consent-il à laisser se détricoter la société, à abandonner une partie de sa jeunesse ? Cette question trouve aujourd’hui des réponses partielles, grâce aux actions de rééducation et d’encadrement de milliers d’associations qui œuvrent, elles, dans l’intérêt général. Mais ce problème, crucial, est gigantesque et nécessiterait, pour qu’on puisse entrevoir une éclaircie sur ce front, une action concertée de tous les appareils administratifs en concertation avec la société civile.
A défaut de pouvoir faire bouger rapidement les appareils de l’Etat – éducation nationale et défense -, il reste à la société civile, c’est-à-dire au monde associatif, à se mobiliser massivement et à sauver la jeunesse française d’un désastre annoncé. Il y aurait bien sûr d’autres thèmes de cohésion qui permettraient une mobilisation effective de la nation pour échapper au piège terroriste. Mais l’avenir de la jeunesse doit être le « chantier » prioritaire. Et il y a urgence à ouvrir ce chantier sur lequel il faut convoquer la nation.
Parmi les sociétés démocratiques que les terroristes ont pris pour cibles parce qu’ils les considèrent comme faibles, vulnérables et incohérentes, la France est particulièrement menacée.
Parce qu’elle arbore une forme de laïcité insupportable pour les croyants fanatiques, parce qu’elle cultive une grande liberté de mœurs et un certain art de l’insouciance, parce qu’aussi elle devrait payer pour ses supposées erreurs historiques.
Un peu moins d’insouciance, une plus grande fierté d’être français, un peu moins de discours et un peu plus d’action solidaire : peut-être seraient-ce quelques lumières allumées sur ce long combat contre l’obscurantisme et la terreur !
Eric de La Maisonneuve